Mali-France, les raisons d’un divorce

Depuis la chute d’Ibrahima Boubacar Keita, la France est devenue colérique et nerveuse à l’égard des autorités du Mali dont elle supporte mal les agissements. Soif de liberté, la junte au pouvoir, dirigée par un Assimi Goita déterminé à rendre au Mali son indépendance effective, n’a jamais caché son désir de couper le cordon ombilical le liant au pays d’Emmanuel Macron. Le renvoi de l’ambassadeur français au Mali, décision hautement sensible et pleine de conséquences, montre clairement jusqu’où les autorités maliennes sont prêtes à aller dans ce bras de fer avec les autorités françaises.

Révolus et dépassés, les temps où la France jouait au gendarme en Afrique. Finis, les moments où les autorités françaises pouvaient s’immiscer dans la vie politique des Etats africains, notamment les anciennes colonies de l’AOF, sans aucune élégance. Depuis quelques mois, un vent nouveau a soufflé du côté de l’Afrique de l’ouest, provoquant des situations jamais soupçonnées avant. Alors qu’elle s’est toujours prise pour le nombril du monde, du reste de l’Afrique et les Africains, la France se retrouve devant une dynamique qu’elle semble ne pas maitriser au vu des développements récents constatés sur le dossier du Mali. Au-delà, l’axe Guinée-Mali-Burkina, où la France comptait de grands soutiens en la personne des présidents déchus, est visiblement en train d’échapper à son contrôle. Les régimes militaires tentent à tout prix de corriger les erreurs stratégiques qui ont contribué à semer le chaos sur le plan sécuritaire, au Mali et au Burkina, ou sur le plan politique en République de Guinée.

Des attaques récurrentes contre la junte au pouvoir

A toujours vouloir s’ingérer dans les affaires politiques internes, et de façon flagrante, les autorités françaises ont fini par se mettre à dos certains de leurs alliés traditionnels et se marginaliser au concert des nations. Si la France laisse des plumes dans le rapport de force qu’elle a voulu instaurer avec le Mali, c’est surtout parce qu’elle n’a pas été honnête dans ses positions et s’est gourrée dans sa ligne de conduite. Dans les différentes sorties officielles que ses représentants ont eu à faire, la dernière en date étant la réaction du ministre des affaires étrangères, Jean Yves Le Drian sur l’expulsion de leur ambassadeur du Mali, l’ancienne puissance coloniale montre une suffisance qui frise l’irrespect et l’inconsidération. Se débarrassant de toute courtoisie républicaine et ou diplomatique, les Français ont utilisé à l’égard des autorités maliennes un langage aussi ordinaire et banal qu’on a l’impression qu’ils n’ont jamais voulu traiter ces dernières d’égal à égal.

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Quelle que puissent être les circonstances dans lesquelles la junte est arrivée au pouvoir au demeurant, Assimi Goita et ses hommes sont les seuls interlocuteurs de la France et du reste du monde. Le nier ou minimiser leur statut d’acteurs politiques de premier plan au Mali, c’est faire une erreur de débutant que la France est en train de payer très cher. Pourtant, cette France nerveuse en ces temps-ci face à la junte malienne, sait se retenir quand elle veut. Dans le dossier de la vente de sous-marins à l’australie malgré la gravité de la trahison et l’humiliation qu’ils ont subie, les Français ont dû ravaler leur colère à un moment et se montrer pragmatiques pour avancer. Ce qui n’a pas été le cas avec le Mali envers qui ils n’ont cessé de multiplier les attaques, allant même jusqu’à traiter les autorités maliennes d’illégitimes.

Comment peut-on espérer une coopération gagnant-gagnant avec des vis-à-vis qu’on refuse de reconnaitre et qu’on ne cesse de dénigrer aux yeux du monde? Il fallait que ce divorce arrive puisque, de Macro à Le Drian, aucune autorité française ne s’est exprimée dans le sens d’une désescalade. Malgré le pourrissement de leurs rapports, les Français n’ont pas daigné mettre de l’eau dans leur vin, continuant de se croire indispensables alors que les derniers actes posés par les Maliens indiquent clairement le contraire.

La France veut des leaders manipulables à la tête du Mali

Si les agissements de la France et de Macron sont dictés par la défense des idéaux démocratiques, comme ils le chantent partout, alors il y a une incohérence et une rupture d’égalité qui remettent en cause leur engagement. En effet, le soutien apporté à Mahamat Déby de Tchad, dont l’accession au pouvoir ne diffère nullement de celle des militaires au Mali, est sujette à critiques. La politique de deux poids deux mesures ainsi adoptée saut aux yeux et la junte militaire, prenant conscience des combines et magouilles des Français, refuse de se prêter à ce jeu. S’il faut continuer de coopérer avec les autorités françaises, autant que cela se fasse sur des bases claires, autant qu’ils soient des rapports empreints de respect et de considération mutuels.

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Avec l’expulsion de l’ambassadeur du Mali, l’escalade a pris une autre ampleur. Elle intervient après l’épisode très agité de la présence de mercenaires russes de Wagner au Mali, puis de l’expulsion récente de militaires danois du pays, signes de la marginalisation de la France et ses alliés dans cette partie du Sahel. Le divorce entre les deux pays semble définitivement se matérialisé même si jusque-là les autorités françaises n’ont pas pris de décision par rapport à leur présence militaire dans ce pays. Dans une récente sortie sur France 24, le ministre malien des affaires étrangères Abdoulaye Diop a justifié le comportement des Français par leur désir ardent de voir à la tête du pays des autorités malléables et manipulables à leur guise; d’où leur insistance sur la tenue d’élections et leurs attaques récurrentes à la junte au pouvoir.

L’urgence de repenser sa politique africaine pour rester dans le jeu

Le message ainsi lancé à la France est clair et Emmanuel Macron devrait s’inscrire dans une logique de revoir les rapports entre son pays et ses anciennes colonies. Comme il a eu à repenser le sommet Afrique-France, en l’occurrence le format de Montpellier en novembre dernier, le président français doit se rendre compte que les temps ont changé. C’est là d’ailleurs que la réaction du polémiste Eric Zemmour sur l’expulsion de l’ambassadeur de la France trouve son sens. Selon lui, et il a raison, « toute la politique africaine de la France est à repenser ». Face à la montée en puissance de la Chine et de la Russie, l’ex puissance coloniale a besoin de se revoir dans le miroir, de revoir sa politique africaine, si elle ne veut pas être davantage marginalisée dans le continent.

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Source: senenews