Désaccords entre junte et civils en Guinée: La transition prise au piège de ses contradictions

Tout est allé très vite. Limogée, ce week-end, de son poste de ministre de la Justice et des droits de l’Homme par la junte, Fatoumata Yarie Soumah a été remplacée, le 3 janvier, par Moriba Alain Koné. Cause de ce départ précipité de l’ex-garde des Sceaux, elle aurait manifesté, dans une lettre adressée au secrétaire général de la présidence, son désaccord quant au non-respect des procédures par la présidence qui a convoqué une rencontre avec les magistrats pour leur expliquer « la politique pénale de la transition », sans qu’elle n’y soit associée. De son point de vue, la politique pénale de la transition « ne se discute pas entre le président de la Transition et le personnel de la Justice » mais plutôt «  entre le président de la Transition, le Premier ministre et le ministre de la Justice ». Demandant par conséquent l’annulation de ladite rencontre, elle n’a eu, en réponse, que son renvoi sans autre forme de procès, de l’équipe gouvernementale. Ce clash entre Mamadi Doumbouya et Fatoumata Yarie Soumah, loin d’être un fait isolé, n’est en réalité que l’expression des dysfonctionnements de l’attelage militaro-civil que conduit la transition en Guinée.

Les dysfonctionnements au sommet de l’Etat guinéen, sont les conséquences du mariage entre le lapin et la carpe

En effet, pas plus tard que la semaine passée, c’est le Premier ministre, Mohamed Béaovogui, qui manifestait son étonnement quant au nouveau nom de baptême de l’aéroport international de Conakry qui est devenu l’aéroport international Ahmed Sékou Touré. Le chef de l’Exécutif guinéen dit n’avoir « été ni consulté, ni associé dans la prise de décision » et s’est dit donc « surpris, mécontent et dépassé ».  Le constat crève donc les yeux. Ça grince dans la machine de la transition. Mais faut-il s’en étonner ? Pour un observateur averti de la scène politique en Guinée, la réponse est certainement non. Et pour cause. Les dysfonctionnements au sommet de l’Etat guinéen, sont les conséquences évidentes du mariage entre le lapin et la carpe. Pour se donner une certaine légitimité et s’attirer la sympathie populaire, la junte militaire a puisé dans le fleuron technique et moral de la Guinée en oubliant que les bons artisans ne sont pas forcément dociles. De son côté, l’élite intellectuelle et morale, faisant preuve de naïveté, s’est laissée séduire par les discours de bonne foi des militaires en oubliant, comme le disait Amadou Kourouma, que « le molosse ne change jamais sa manière éhontée de s’asseoir ».  Ainsi donc, la transition s’est retrouvée prise au piège de ses contradictions qui constituent le péché originel de cette aventure politique.  Cela dit, ces dysfonctionnements ne sont que les remous de surface de la lame de fond qui agite l’océan politique guinéen. Et la première lame de fond transparait nettement dans la controverse née du baptême de l’aéroport au nom de Ahmed Sékou Touré, un personnage diversement apprécié dans la mémoire collective guinéenne.

On se demande quel crédit accorder à l’institution judiciaire si le chef de l’Etat manœuvre pour influencer les magistrats

Ce qui est en débat, ce n’est pas le rôle historique joué par le père de l’indépendance guinéenne qui a tenu tête à la France coloniale du grand général Charles De Gaulle à travers la formule consacrée «  il n’y a pas de dignité sans liberté, nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage ». Mais l’image du tortionnaire qui a fauché la vie à près de 50 000 personnes en Guinée. L’évocation du seul nom du camp Boiro où périrent, entre autres, Diallo Telli, Koumandian Kéïta ou Fodéba Kéïta, suffit à rouvrir les plaies d’une mémoire qui continue de saigner. Et ces douloureux souvenirs se nourrissent du problème ethnique qui continue d’être aujourd’hui la principale équation politique en Guinée. C’est en raison de tout cela que l’on peut se poser la question de l’opportunité de ce baptême sans que les Guinéens n’aient véritablement soldé les comptes avec leur histoire à travers les actes d’une véritable réconciliation qui, non seulement servirait de catharsis sociale, mais aussi ouvrirait la voie à une réhabilitation politique consensuelle des acteurs du passé.  Quant à la seconde lame de fond qui transparait dans les désaccords entre militaires et civils de la transition, c’est la problématique de l’indépendance de la Justice. L’on se demande quel crédit l’on pourrait accorder à l’institution judiciaire qui est appelée à être l’un des instruments de la réconciliation et de la refondation nationale, si le chef de l’Etat, en premier, manœuvre pour influencer les magistrats. En tout cas, il y a de sérieuses inquiétudes à avoir quant à la suite judiciaire de certains dossiers emblématiques où les militaires sont soupçonnés d’avoir commis de basses besognes comme le massacre du 28 septembre 2009 où ont tragiquement péri 157 personnes et où 109 femmes ont été violées. L’on se demande si le limogeage de Fatoumata Yarie Soumah qui s’est opposée au contact direct entre l’Exécutif et les acteurs du monde judiciaire, ne cache pas une frilosité des militaires sur certains dossiers pendants. Ceci étant, la question que l’on peut se poser est la suivante : quelle peut être l’incidence des dysfonctionnements constatés, sur la conduite de la transition ? Pour l’instant, il est difficile d’évaluer l’étendue des dégâts mais l’on peut dire que Doumbouya a tout intérêt à circonscrire le feu car le consensus est la condition sine qua non pour la réussite de la transition. En attendant, l’on peut tresser des lauriers à Fatoumata Yarie Soumah qui s’est comportée en digne héritière des amazones guinéennes en refusant d’être une simple faire-valoir.

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