Récusation du représentant de la CEDEAO en Guinée : L’attitude suspecte de la junte

« La nomination d’un Envoyé Spécial ne nous parait ni opportune, ni urgente dans la mesure où aucune crise interne, de nature à compromettre le cours normal de la transition, n’est observée ». C’est par ces termes que le Chef de l’Etat, président de la transition en Guinée, Mamady Doumbouya, a récusé la nomination par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), d’un médiateur pour son pays en la personne de Mohamed Ibn Chambass. « Circulez donc, il n’y a rien à voir », pourrait-on entendre par cette décision des autorités guinéennes, que l’on peut d’ailleurs comprendre. En effet, l’organisation sous-régionale semble agir en sapeur-pompier après avoir échoué à faire entendre raison à Alpha Condé, quand, marchant sur les cadavres de ses compatriotes, ce dernier s’était  lancé à vive allure sur le boulevard d’un 3e mandat. La junte militaire en a gros sur le cœur contre la CEDEAO qui semble avoir fermé les yeux sur les intérêts des peuples, en solidarité avec l’un des membres du syndicat des chefs d’Etat qu’elle constitue.

 On peut se demander si la junte militaire n’a pas un agenda caché

 Cette récusation sonne donc comme un geste d’agacement des nouvelles autorités guinéennes qui ne veulent pas recevoir de leçons de démocratie de la part d’une ligue dont les membres ont été,  quelque peu, complices des fossoyeurs de la démocratie. Mais ce geste ne cache-t-il pas des non-dits ? Tout laisse croire, en effet, que la récusation du représentant de l’organisation communautaire sous- régionale cache d’autres motivations. D’abord, la personnalité de Mohamed Ibn Chambass semble poser problème au sein du landerneau politique guinéen dont certains membres ne font pas mystère de leur hostilité à son égard. Il est, en effet, reproché au médiateur désigné de la CEDEAO, de s’être retrouvé impliqué, de par ses fonctions antérieures, dans les hauts et les bas de la situation en Guinée. « Donc, pour accompagner la transition, il aurait fallu une autre personnalité qui a un regard plus lucide, neutre et plus impartial pour agir en conformité avec les intérêts du peuple guinéen »,  en conclut un leader de parti politique. Mais au-delà de la controverse née autour de la personne de Mohamed Ibn Chambass, l’on peut se demander si la junte militaire n’a pas un agenda caché. Tout laisse croire que Mamady Doumbouya a tiré leçon de l’expérience de son voisin malien qui semble limité dans ses manœuvres par l’institution régionale au point qu’il en est arrivé à déclarer persona non grata son représentant. Il y a donc des inquiétudes à avoir quant au respect du calendrier fixé par la transition, même si, pour l’instant, les autorités se défendent de toute manœuvre suspecte. Car, rien ne dit que dans les semaines ou mois à venir, la junte militaire ne se liguera pas comme au Mali avec certaines forces politiques et de la société civile, pour imprimer un nouveau rythme à la marche de la transition. L’on peut donc comprendre que l’on ne voie pas d’un bon œil l’arrivée de Mohamed Ibn Chambass connu pour ne pas avoir la langue dans la poche.

 La CEDEAO a tout intérêt à tirer leçon de ces rebuffades des Etats en transition politique

 L’autre raison de la récusation du médiateur de la CEDEAO et pas la moindre, est que contrairement aux propos de Mamady Doumbouya qui laissent croire que la transition se déroule dans « un climat apaisé et en parfaite symbiose avec les forces vives de la nation », il se pourrait que les nouvelles autorités guinéennes traînent des casseroles sales qu’elles veulent dissimuler. L’on sait déjà que les placards de la présidence renferment des cadavres, notamment ceux qui sont tombés lors du coup d’Etat qui a porté au pouvoir le colonel Doumbouya. Il n’est pas évident non plus que les licenciements massifs et les mises à la retraite anticipées auxquelles l’on assiste, ne cachent pas des règlements de comptes politiques ou ne se font pas selon des critères d’exclusion nuisibles à la cohésion sociale et à l’unité nationale. Et cela, les autorités guinéennes pourraient ne pas vouloir qu’on y voie clair pour les étaler sur la place publique.  Cela dit, quelles que soient les motivations qui sous-tendent la décision des autorités guinéennes, il est évident qu’elles n’ont pas intérêt à se mettre à dos la CEDEAO. Et pour cause. La CEDEAO est le premier anneau de la communauté internationale et briser ce premier cercle, équivaudrait à s’isoler diplomatiquement avec sans nul doute des conséquences que peuvent être les sanctions économiques et politiques. Ensuite, le regard extérieur de la CEDEAO peut permettre d’éviter les dérives car, on sait que l’organisation ne marchande pas dans les processus politiques sur les critères d’inclusion et qu’elle constitue un label de transparence pour le processus de transition dans le pays. Le président de la Transition a sans doute compris ce risque et c’est ce qui explique pourquoi dans son adresse à la CEDEAO, il écrit ceci : « Néanmoins, nous sommes disposés à recevoir des missions ponctuelles de la Commission de la CEDEAO comme celle qui a récemment séjourné à Conakry pour travailler avec le gouvernement sur les axes d’accompagnement technique en vue d’un retour à l’ordre constitutionnel normal ». Mais la CEDEAO acceptera-t-elle cette offre a minima ? Wait and see ! Mais en attendant, la CEDEAO a tout intérêt aussi à tirer leçon de ces rebuffades des Etats en transition politique car, il faut le dire,  elle a bien des choses à se reprocher dans la prévention et la gestion des crises politiques.

 « Le Pays »

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