Pourquoi le président Alpha Condé ne peut pas briguer un troisième mandat ? (Par Saikou Yaya DIALLO)

Depuis sa réélection à l’issue de l’élection présidentielle de 2015, le président de la République Monsieur Alpha Condé fait planer le doute et la confusion autour d’un éventuel troisième mandat que son entourage souhaiterait l’accorder pour, selon ses collaborateurs, lui donner le temps nécessaire de parachever ses nombreux projets qu’il a initiés pour faire de la Guinée un pays émergent.

Mais, est ce que le président de la République a le droit de se présenter à une éventuelle élection présidentielle en vue d’un troisième mandat ?

En dehors du fait que cette question fait couler beaucoup d’encre et de salive au sein de l’opinion publique Guinéenne voire même au-delà, il y a lieu d’interroger la constitution du 7 Mai 2010 sur laquelle le président de la République a prêté serment par deux fois, avant d’expliquer le processus d’élaboration et d’adoption de ce présent texte par le Conseil National de la Transition (CNT).

L’institution le président de la République est consacré par le sous-titre I, du Titre III relatif au pouvoir Exécutif, allant de l’article 27 à l’article 58 de la constitution.

Ces dispositions prévoient les conditions d’élection et d’exercice du pouvoir par ce dernier, ainsi que les obligations qui l’incombent durant son mandat. Nous n’allons pas revenir sur toutes ces dispositions pour les besoins de précision et de compréhension des lecteurs, donc notre démarche consistera à analyser les articles qui ont trait à la question qui fait l’objet de ce présent article.

Ainsi, L’article 27 dispose : << le président de la République est élu au suffrage universel direct. Son mandat est de cinq ans, renouvelable une fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels, consécutifs ou non >>. À l’analyse de cet article, nous comprenons que le législateur a voulu prévenir toute velléité pour un président de la République en Guinée de se présenter à plus de deux élections présidentielles, comme ce fut le cas du feu président Lansana Conté de par le passé, chose qui a fait basculer le pays dans une crise socio-économique et politique sans précédent pendant plus d’une décennie.

Par conséquent, toute tentative de violation de cet article peut être qualifiée de parjure ou de haute trahison, ce qui peut conduire à la mise en œuvre d’une procédure de destitution du président de la République devant la haute cour de justice.

L’article 35 pour sa part, dispose : << le président de la République est installé dans ses fonctions, après avoir prêté serment devant la cour constitutionnelle, en ces termes : Moi…. Président de la République élu conformément aux lois, jure devant le peuple de Guinée et sur mon honneur de respecter et faire respecter scrupuleusement les dispositions de la constitution, des lois et décisions de justice, de défendre les institutions constitutionnelles, l’intégralité du territoire et l’indépendance nationale.En cas de parjure, que je subisse les rigueurs de la loi >>.

À l’analyse de cet article, il ressort que le président de la République est tenu de respecter et de faire respecter toutes les dispositions contenues dans la présente Constitution et toutes les lois régulièrement adoptées en République de Guinée, ainsi que les décisions judiciaires rendues par les cours et tribunaux.

Ce serment constitue un contrat social entre lui et le peuple de Guinée. Ainsi, en rompant ce contrat social, il cesse d’être le président de la République ce qui pourrait entraîner sa destitution et sa poursuite pour parjure, car trahir son serment s’apparente au non-respect de ses engagements constitutionnels. Malgré la clarté, la précision et la concision de ces articles cités plus haut, il est regrettable de constater que le président de la République, depuis son élection à la tête de l’État s’est inscrit dans une logique de fouler au sol les lois de la République.

En guise d’illustration, il a refusé de déclarer ses biens lors de son premier mandat (2010 – 2015) en violation de l’article 36 qui dispose : << après la cérémonie d’investiture et à la fin de son mandat, dans un délai de 48 heures le président de la République remet solennellement au président de la Cour Constitutionnelle la déclaration écrite sur l’honneur de ses biens…>>.

À cela, s’ajoute le fait que le président de la République continue de se rendre au siège du RPG-ARC-EN-CIEL en vue de participer aux assemblées générales hebdomadaires du parti, ce qui constitue une violation de l’article 38 qui dispose : << la charge du président de la République est incompatible avec l’exercice de toute autre fonction publique ou privée, même élective. Il doit, notamment, cesser toute responsabilité au sein d’un parti politique >>.

Il faut également signaler la velléité manifeste du président de la République de maintenir dans un état de dépendance totale, les institutions républicaines qu’il a mises en place de façon fantaisiste. Des institutions auxquelles d’ailleurs, il refuse d’accorder des ressources financières nécessaires pour les permettre de jouer pleinement leurs partitions dans l’édification de la démocratie et de l’État de droit en Guinée. C’est l’exemple de la cour des comptes, à la tête de laquelle il a mis son ancien ministre de l’économie et des Finances qui est sensé rendre compte de sa gestion à la tête de son département ministériel.

A lire aussi :   Des chercheurs établissent le secret d’un mariage heureux

Nous pouvons également citer le cas de l’institution Nationale indépendante des Droits de l’homme (INIDH), de la Haute Autorité de la Communication (HAC) et d’autres institutions républicaines qui, depuis leurs créations sont gravement sevrées de ressources financières ce qui fait d’elles des institutions fantômes. Il résulte de ce qui précède, que le président de la République a créé et entretenue une confusion totale au sein de l’opinion publique, car en plus de ces discours qui laissent plus d’un guinéen perplexe sur la question du troisième mandat, son entourage ne cache pas son intention de se battre pour l’accorder un autre mandat au-delà de ceux prévus par la présente Constitution.

Cela s’illustre par le fait que des hautes personnalités comme : le directeur de la police nationale, des ministres, des députés, des gouverneurs, des préfets et d’autres cadres qui vivent dans les grâces du pouvoir, ont publiquement exprimé leurs souhaits de voir réviser la constitution en vue de permettre à leur champion de continuer à diriger la Guinée jusqu’à sa mort, car pour eux, le pays n’a jamais eu un président aussi qualifié pour conduire les destinés de notre nation vers son développement tant souhaité, lui présentant ainsi comme un homme providentiel.

Même s’il faut rappeler que ces personnes, au-delà d’être satisfaites de la gouvernance actuelle, veulent juste préserver les avantages financiers et l’ascension sociale qu’ils tirent du régime du président Alpha Condé. Contrairement à cette poignée de personnes qui vivent dans les grâces du pouvoir, la population dans sa globalité continue de croupir dans la pauvreté, qui est la conséquence de la mal gouvernance caractérisée par la corruption, l’impunité, le clientélisme, la politisation à outrance de l’administration en violation de l’article 26 de la constitution, la gabegie financière et autres maux que le régime actuel a érigé en système de gouvernance.

C’est pourquoi, il est plus qu’important de lever l’équivoque autour de cette question en interrogeant la constitution elle-même, sur la possibilité ou non de réviser le mandat du président de la République ?

En plus de l’article 27 susmentionné qui répond de façon claire à la question, il y a lieu de rappeler les articles 152, 153 et 154 du chapitre VIII relatifs à la révision de la constitution du 7 Mai 2010 qui apporte plus de précisions sur la question. Ainsi, l’article 152 dispose : << l’initiative de la révision de la constitution appartient concurremment au président de la République et aux députés. Pour être pris en considération le projet ou la proposition de révision est adoptée par l’Assemblée Nationale à la majorité simple de ses membres. Il ne devient définitif qu’après avoir été approuvé par référendum. Toutefois, le projet n’est pas présenté au référendum lorsque le président de la République décide de le soumettre à la seule Assemblée Nationale. Dans ce cas le projet de révision est approuvé à la majorité de 2/3 des membres composant l’Assemblée Nationale. Il est de même de la proposition de révision qui aura recueilli l’approbation du président de la République >>.

À la lumière de cet article, on comprend aisément que l’actuelle constitution, comme tout texte de loi est loin d’être parfaite. C’est pourquoi, elle peut-être révisée pour l’adapter aux réalités du moment. Cette disposition précise que l’actuelle Constitution peut être révisée, mais cette dernière n’est possible qu’à la seule initiative du président de la République et des députés de l’Assemblée Nationale avec l’approbation obligatoire de la majorité simple de ses membres. En plus, il clôt le débat sur la nécessité de soumettre à référendum ou non la constitution, pour que cette dernière soit légale et légitime vis à vis de la population.

A lire aussi :   Manif de l'opposition: Notre constat au Km5(Dubréka)

Tout en privilégiant la procédure de référendum comme la façon la plus solennelle d’approuver la constitution, l’alinéa 2 de cet article apporte une exception à ce principe en donnant la possibilité au président de la République de s’en passer de la procédure de référendum en soumettant le projet de Constitution à la seule Assemblée Nationale qui doit forcément recueillir les 2/3 des voix de ses membres pour son approbation.

C’est, cette dernière option que le président de la transition d’alors, le Général Sekouba Konaté a utilisé après avoir recueilli l’avis favorable de tous les acteurs impliqués dans le processus notamment, les partis politiques qui étaient très pressés de récupérer le pouvoir des mains des militaires. D’ailleurs, il y a lieu de se poser la question de l’opportunité d’un tel projet, d’autant plus que le pays peine encore à sortir d’une transition qui a été ouverte depuis 2008, suite à la mort de feu Général Lansana Conté ex-président de la République.

Est-ce pour bâtir une économie forte qui puisse concurrencer certains pays émergents Africains ou bien c’est pour juste assouvir un besoin personnel en se cramponnant au pouvoir, afin de continuer à bénéficier de ses avantages et cela, peu importe les conditions de vie précaires des pauvres populations ?

Au regard des conditions de vie actuelles du peuple de Guinée et du désamour qui existe entre ce dernier et ses dirigeants, la question d’un éventuel troisième pour le président Alpha Condé pourrait faire basculer le pays dans un chaos dont les conséquences seront catastrophiques. C’est pourquoi, l’article 153 dispose : << aucune procédure de révision ne peut être entreprise en cas d’occupation d’une partie ou de la totalité du territoire national, en cas d’Etat d’urgence ou d’état de siège >>. L’esprit de cette disposition, rappelle que toute révision constitutionnelle doit répondre à un besoin de quiétude et de stabilité, sans lequel un tel projet devient irréalisable.

Donc, vu le nombre de mécontents que la question du troisième mandat suscite au sein de la population à chaque fois qu’elle est évoquée par le président de la République ou son entourage, nous disons sans risque de se tromper qu’une fois mis en œuvre, ce projet peut entraîner des soulèvements populaires qui pourraient sérieusement affecter l’unité de la nation guinéenne. Par conséquent, il nous semble inopportun car l’environnement social actuel n’est pas favorable à un tel projet.

D’ailleurs, l’article 154 introduit la notion d’intangibilité constitutionnelle dans la constitution du 7 Mai 2010, une innovation qui a pour but d’interdire toute modification du mandat présidentiel, car en s’inspirant de l’histoire récente du pays au cours de laquelle la constitution a toujours fait l’objet d’un tripatouillage pour assouvir des besoins personnels des dirigeants d’alors. Le législateur a décidé de placer certaines dispositions de la constitution sous un régime juridique particulier, les faisant échapper de facto à toute modification, par ces termes : << la forme républicaine de l’État, le principe de la laïcité, le principe de l’unicité de l’État, le principe de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs, le pluralisme Politique et syndical, le nombre et la durée des mandats du président de la République ne peuvent faire l’objet d’une révision >>.

Cet article précise que toute tentative de révision qui touche ces principes sont nuls et de nul effet, car ces derniers constituent la substance même de la constitution au point que, lorsqu’ils sont révisés, le texte perd toute sa valeur juridique. De l’analyse de cette disposition, il ressort que le président de la République, bien qu’ayant le pouvoir d’introduire un projet de révision de la constitution, mais cette révision ne peut pas porter sur la durée et le nombre de mandats, ainsi que sur tous les principes visés au présent article.

Alors à défaut de réviser cette Constitution, est ce que le président peut faire écrire et faire adopter une nouvelle Constitution, comme le prétendent certaines personnes de son entourage ?

Il faut rappeler que certains détracteurs de la constitution du 7 Mai 2010, l’accuse de n’avoir pas été soumise à référendum lors de son adoption par le Conseil National de la Transition (CNT). En plus, ces mêmes détracteurs estiment que le CNT est un organe issu de la transition et par conséquent ne saurait être légitime, car ses membres n’ont pas été élus, mais plutôt coptés.

A lire aussi :   vidéo/ONG "Alerte enfant" immerge dans la scolarisation: Témoignage!

Donc, la présente Constitution est un vil document signé par un Général putschiste aux mains tachées de sang, qui ne peut être considéré comme un texte légal et légitime devant régir la vie de la nation guinéenne. Cependant, il faut préciser qu’il n’est pas obligatoire de soumettre un projet ou une proposition de Constitution une fois révisé à un référendum, comme le stipule l’alinéa 2 de l’article 153 qui donne la possibilité au chef de l’État de le soumettre à la seule Assemblée Nationale. À notre entendement, c’est ce qui fut fait lors de la transition en 2010 pour des besoins de célérité pour rendre vite le pouvoir aux civils.

D’ailleurs, il faut signaler qu’aucun parti politique n’a exprimé son opposition à cette procédure, ne serait-ce que de façon symbolique. En plus, le CTN créé à cet effet, faisait office d’assemblée constituante originaire. En vertu des pouvoirs qui lui ont été conférés, il avait en charge de procéder au toilettage de tous les textes de lois qui étaient en déphasage avec les réalités et l’intérêt supérieur du pays. Ainsi, la constitution de 2001 et beaucoup d’autres lois organiques (code électoral, loi sur la CENI…) ont été examinées et adaptées aux exigences actuelles de la société guinéenne. Composé des membres venant de la société civile, des parti politiques, des syndicats, des religieux et d’autres couches de la société Guinéenne, le CNT en plus de cette large représentativité, a été doté des pouvoirs de légiférer et cela, jusqu’à la mise en place d’une nouvelle Assemblée Nationale issue des élections législatives.

D’ailleurs, l’élection d’un nouveau président de la République, d’une nouvelle Assemblée Nationale et la mise en place des institutions républicaines prévues dans la constitution du 7 Mai 2010 six mois après l’élection du président, devrait mettre fin à la transition. Mais, ce qui est curieux et voir dangereux pour utiliser le mot juste, c’est qu’aujourd’hui le parti au pouvoir à l’occurrence du RPG qui a été associé à tout le processus lors de la transition, se met dans une posture de remise en cause systématique de tous les acquis de la transition, en essayant non seulement d’affaiblir les institutions républicaines issues de celle-ci. Mais aussi, de lancer le discrédit sur la constitution du 7 Mai 2010 dans le seul et unique but de se pérenniser au pouvoir.

Au regard de ce qui précède, il est clair que le président de la République ne pourra en aucun cas se permettre d’introduire un projet de loi portant sur une nouvelle Constitution, car il fonde la légalité et la légitimité de son pouvoir sur la constitution du 7 Mai 2010, sur laquelle d’ailleurs il faut le rappeler, il a, par deux fois prêté serment. Donc, toute tentative de remise en cause de cette dernière entraîne automatiquement la disparition de tous les pouvoirs et les institutions républicaines créés sous l’auspice de la présente Constitution.

N’étant plus légal et légitime, le président Alpha Condé, cessera d’être le président de la République de Guinée, ce qui va conduire à une nouvelle transition à l’issue de laquelle des nouvelles élections présidentielles et législatives seront organisées pour élire un nouveau président et des nouveaux députés. Pour finir, nous demandons humblement au président de la République de ne pas céder : << aux tintamarres des sirènes révisionnistes >>, pour paraphraser Maître Kelefa Sall, le président de la cour constitutionnelle qui lui a rappelé ses obligations de respecter et de faire respecter la constitution, les lois et les décisions judiciaires lors de sa prestation de serment en 2015 pour son second et dernier mandat.

En procédant ainsi, vous allez préserver non seulement les acquis démocratiques du pays, qui sont les résultats d’une longue lutte assortie d’énormes sacrifices en termes de perte en vies humaines et d’importants dégâts. Mais aussi, vos quarante années de lutte en faveur de l’instauration de la démocratie et de l’État de droit en Guinée en particulier et en Afrique en général.

En ayant une telle attitude, vous aurez contribué Monsieur le Président, à l’épanouissement du peuple de Guinée et surtout vous vous serez inscrit dans les annales de l’histoire Guinéenne et Africaine.

DIALLO Saikou Yaya

Juriste/Politologue,

Enseignant-chercheur,

Consultant en droits de l’homme,

Et militant des droits humains.

Moussa Diawara
Journaliste reporter d'images, administrateur Gl à reporterguinee.net Aime le voyage, la lecture, la découverte et le sport