SIGUIRI : mines d’or, business… sexe

Les mines artisanales de Siguiri, un monde à part. En raison des profits escomptés, les sites attirent du monde, venu de près, mais aussi de très loin parfois. Parmi les orpailleurs, des jeunes cédant à la folie du profit facile et des femmes, consentant au pacte services sexuels contre gîte et couvert. Mais des activités aurifères, à la limite illégales, les enfants et la nature paient le prix fort. Les premiers, privés notamment du droit fondamental à l’éducation, découvrent à leur insu le monde adulte, avec tous ses travers. La seconde, quantité négligée par des orpailleurs ayant les yeux rivés sur les lingots d’or, est par ailleurs victime du laxisme de l’Etat.

Autrefois considérée comme une activité de substitution à l’agriculture, l’orpaillage a désormais pris le dessus sur le travail de la terre dans bien de régions de la Haute Guinée. La croissance graduelle et continue du prix de l’or (315.000 GNF par gramme) est de beaucoup dans la ruée vers les zones d’exploitation. A date, on enregistre un surpeuplement  des villages, notamment les sites aurifères de Silabadala, Tatakourou, Bembéta, Doko, Kolondala, Balato etc, dans la préfecture de Siguiri.

Selon les chiffres fournis par les autorités locales, le secteur de l’or mobiliserait jusqu’à  de 200.000 personnes, hommes, femmes et enfants confondus. 90 % d’entre eux ne seraient pas cependant pas originaires de  Siguiri. « On en a  70% de  Guinéens venus d’autres préfectures et 30%  venant des pays de la sous-région», explique une source proche de la commune de Siguiri.

Quoiqu’il en soit, ceux qui se sont résolument tournés vers l’or, en récoltent les bénéfices escomptés. En témoigne le train de vie des exploitants. Mine de rien, un jeune exploitant peut s’autoriser des dépenses faramineuses en une soirée. Le nombre d’engins roulants dans la localité, notamment de motos, serait également un signe évocateur des richesses que certains tirent de l’exploitation artisanale de l’or.  De fait, même si on n’a pas réussi à obtenir des chiffres, le volume d’or produit par les orpailleurs artisanaux dans l’année est estimé à plusieurs tonnes.

Business  florissant !

Bakary Diaby, un jeune de 26 ans s’est spécialisé dans le commerce de fripes. Une fois par mois, il va acheter  son stock à Conakry et fait le tour des marchés hebdomadaires des zones aurifères. « Les mineurs ne discutent pas le prix d’un objet. Ils achètent quand ils sont intéressés par la qualité », raconte-t-il.  En deux ans, il a réussi à s’acheter trois minibus qui font le transport entre  Bamako et Conakry. Il vit avec son petit frère, Ousmane, dans une chambrette de 4m2.  Pourtant, il a déjà construit  une villa  à Touba, son village natal. Ousmane, lui, gère sa propre boutique  de ‘’prêt à porter’’ au grand marché de Siguiri. Sa recette journalière, dit-il, dépasse l’entendement. « Ma marchandise ne dure jamais avec moi. Il m’arrive de vendre à hauteur de plusieurs millions en un seul jour », se félicite-t-il.  Dans les jours à venir, il compte ouvrir une nouvelle boutique à Doko, dernière sous-préfecture de la Guinée située  à moins de 20 km de la frontière malienne.

Dans cette petite ville d’environ 3 km2, N’Na Fanta s’est fait une gargote à proximité de l’hôpital sous-préfectoral. Plusieurs mineurs y viennent se restaurer. « Chaque jour, je prépare trois sacs de riz », explique-t-elle. Pour l’aider, elle emploie 4 jeunes filles. Elle est originaire de Tokonou, sous-préfecture située sur la nationale Kankan-Kissidougou, où vivent son époux et ses trois enfants. «  Je leur envoie toujours de l’argent pour leurs besoins et les frais des travaux champêtres », s’est-elle confiée.

En contrebas de sa gargote,  on a le forgeron Ibrahima Konaté. En longueur de jour, il reçoit des mineurs à la recherche d’outils de travail.  Il fabrique une pioche à 50.000 GNF.  Il a en projet de bâtir une maison à Komodou dans Kérouané, son village natal. En attendant, il vit dans un taudis à Doko.  « J’ai fait venir mes deux femmes ici. La première vend de la bouillie sur les sites aurifères, la seconde se débrouille au marché. Elle vend des condiments », dit-il.

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Pour sa part, Alpha  Oumar Barry a ouvert il y a peu un kiosque  à la gare-routière de Siguiri. Dedans, il vendait des téléphones et accessoires, des  montres et des paires de lunettes. Il faisait aussi le transfert d’argent via un opérateur téléphonique de la place et chargeait les batteries. Petit-à-petit, il s’est fait presqu’une fortune.

Aujourd’hui,  il s’est lancé  dans plusieurs secteurs d’activités. «Dieu merci ! J’ai 5 boutiques  remplies de denrées alimentaires », se réjouit-il. A la question de savoir s’il est marié, Alpha Oumar ironise : «  Elle m’avait quitté pendant m’a période de galère. Maintenant, elle tente de revenir, mais ma décision est prise : il n’est plus question de vivre avec elle !»

Où est passée la loi ?

Comme on le disait plus haut, le nombre d’engins roulants est l’une des conséquences des juteuses activités aurifères à Siguiri. Chaque jour, ce sont des milliers de motos et de véhicules qui montent et descendent à travers la ville et entre le centre urbain et les zones rurales. Ce qui n’est pas sans conséquences notamment sur le plan de la sécurité. Ainsi, le mercredi 21 février, un motard a percuté un  camion DAF rempli de marchandise,  qui venait de virer quelques mètres devant lui.  Cet accident  qui s’est produit au grand carrefour de la nouvelle gare-voiture a couté très cher au conducteur du gros porteur : Mamadi Traoré qui arrivait nouvellement de Conakry a été accusé de n’avoir pas sorti sa main pour alerter qu’il virait. « Ici, les clignotants  ne suffisent pas. Il faut signaler les autres avec la main », a expliqué  un responsable  du syndicat des mototaxis. Conséquence : le chauffeur du véhicule  a pris en charge le traitement médical du motard et réparé son engin.

Aussi, bien que  le code minier  guinéen réglemente l’exploitation de l’or  à petite échelle,  les insuffisances dans  son application et le  non-respect des orpailleurs favorisent une anarchie presque totale dans les mines: partout  on rencontre des acheteurs clandestins  qui évoluent  au détriment des comptoirs reconnus par l’Etat. « Les orpailleurs obtiennent des prix en dessous du marché puisqu’ils n’ont  aucun élément de comparaison. Parfois, le prix du gramme d’or accroit, le lendemain ça baisse. Ce sont les acheteurs qui contrôlent le cours du marché », regrette  Diarra Souaré,  mineur basé à Tatakourou à 45 km de Siguiri.  Dans ce district, les acheteurs illégaux se promènent  avec leurs sacs d’argent et leurs matériels de mesure. Du coup, ils se font fréquemment braquer par des bandits. « Il y a aussi des délinquants qui les trompent avec du cuivre barbouillé dans une petite quantité d’or fondu », explique  Fadama traoré, officier de police.

Prostitution et mariage  à durée déterminée

Dans les  villages et hameaux des zones aurifères de Siguiri,  ce qui est plus facile à trouver, c’est bien une femme. Nous sommes  vendredi 23 février 2018 à Soumbrasoba, district situé à moins de 30 km de Siguiri ville. Il était 23 heures quand le vieux Mouctar, tenancier d’un bar-café,  est subitement réveillé par un bruit bizarre. Il lui a semblé en effet que quelqu’un pleure dans sa cafétéria, contiguë à son domicile. Il sort en vitesse et tombe sur une scène qu’il n’oserait pas imaginer : un gamin fait l’amour sur le banc de son cafétéria à une dame apparemment plus âgée que lui et qui gémissait de plaisir. «  Je ne pouvais que leur dire respectueusement mais fermement de déguerpir. Ici chacun fait ce qu’il veut », raconte-t-il  le lendemain devant ses clients.

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Une autre histoire dans ce village aurifère !  Fabory Kourouma est originaire de Macenta. Il a 30 ans. Depuis près d’un an, il vit maritalement  avec  Kadiatou, une dame  plus âgée que lui de 10 ans, native de Dabola. Les deux se sont retrouvés sur le site aurifère de Doko. Depuis, ils sont ensemble et chacun joue sa partition. L’homme assure les dépenses journalières, la femme fait le ménage. Le matin elle fait son petit commerce pendant que Fabory se trouve dans les mines.  Le soir, dans leur cabane, madame et monsieur sont dans l’intimité. « Ce n’est pas éternel ! Je suis marié chez moi, elle aussi chez elle. C’est donc une  histoire qui doit finir, tôt ou tard », précise Fabory. Comme lui, beaucoup d’hommes sont versés dans ce genre d’aventure sans lendemain. «  Ici, ce sont les femmes qui cherchent l’homme. Il suffit que ce dernier mette son avoir à sa disposition. Soit elle devient régulière chez lui, ou elle déménage chez lui », explique un jeunes garçon. Les maisons close sont partout. A Doko, les chambres du motel ‘’ Chez Adams’’ sont occupées par des filles venues de Conakry. Elles reçoivent par nuit plusieurs clients de tout âge !

En clair,  l’exploitation artisanale de l’or, au plan social,  entraîne la dépravation des mœurs sur les sites.  Ce qui peut faire accroître le taux des maladies sexuellement transmissibles. « En trois mois, 45 de mes patients se sont révélés séropositif », déclaré Dr Gnakoye, propriétaire d’une clinique à Doko.

La précarité et des risques encourus

A Siguiri, les ouvriers mineurs appliquent des méthodes d’extraction et de traitement rudimentaires. « Ils  utilisent des outils très simples tels que des pelles, des pics, des pioches, des seaux, des calebasses, des pièces métalliques diverses, de bouteilles de gaz sciées, etc… », témoigne Aboulaye Yattara, ingénieur géologue. Les plus aisés ont des appareils qui détectent l’or à des profondeurs superficielles. « Nous passons la journée à balader l’appareil. Quand ça crie, on creuse la partie. Il nous arrive d’exploiter une importante quantité d’or, mais, parfois ça signale tout simplement des papiers en aluminium comme des paquets de cigarette vide,  enfouis dans la terre », explique Balla Condé,  mineur rencontré sur le site aurifère de Kolondala.

Là-bas, depuis un certain temps, la motopompe  est de plus en plus prisée pour le dénoyage des puits. Il en est de même pour les concasseurs et les broyeurs fabriqués localement.

Avec cette méthode, selon les spécialistes, les ouvriers perdent de l’or petit à petit et  étape après étape.  L’ingénieur estime  leur  perte à 75 % du stock de métal pour un gisement alluvionnaire et 90 % pour un gisement de type filonien.  Il pense donc que  certains sites peuvent  se prêter à une reprise ultérieure plus rationnelle de l’exploitation.

Dans  la plupart des cas, les mineurs exercent la technique qui  consiste à forer des puits verticaux. « La couche minéralisée est ensuite dépliée en profondeur et l’accès au filon s’effectue  par un système de galeries latérales, parfois longues de plusieurs centaines de mètres. Il arrive que la terre s’affaisse pendant que des mineurs sont dans des fosses souterraines » explique le géologue.

Les femmes au cœur des opérations

Selon les données recueillies sur place, au-delà des mariages provisoires qui se nouent autour d’elles, les femmes jouent un rôle prépondérant dans l’organisation sociale des sites miniers. Elles sont  environ 50 à 80.000 sur les sites aurifères. Elles sont  à tous les niveaux du circuit, depuis la remontée du minerai, son transport jusqu’au traitement.   Sur  les  sites de Kolondala et de Kourémalé, la gent féminine constitue plus de 90% des travailleurs engagés dans la remontée et le lavage des minerais. En plus, elles jouent également un rôle majeur dans des activités annexes, notamment la cuisine, le petit commerce et le ravitaillement des sites en nourriture et en eau.

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Les mines et le trafic d’enfants

Selon les témoignages, les 70% des enfants rencontrés sont venus d’autres localités. Ils soutiennent  en majorité  être venus accompagner des  parents.  Une seconde catégorie  est composée de gamins  venus seuls. Selon les constats,  les enfants travaillent dans toute la chaîne de l’orpaillage notamment dans le forage des puits, l’extraction des minerais en profondeur, l’exhaure, le transport, le concassage, le pilage, le tamisage, le traitement, le transport d’eau et le lavage de minerais. D’autres s’occupent de la restauration. Ils sont très souvent victimes d’accidents de travail. Oumar Diallo, 13 ans,  affirme avoir été témoin de plusieurs accidents de travail. A côté de lui, Mohamed Diawara, son ainé de 2 ans, déclare avoir été lui‐même victime lors d’un concassage. « J’ai aussi frôlé la mort pendant une séance de  pilage », rappelle Antoine, âgé de 15 ans.

Les conditions sociales des gosses sont des plus empestées.  Les infrastructures sociales de base comme l’école et le dispensaire sont rares  dans la plupart des sites. Plus de la moitié  des enfants autochtones, selon eux-mêmes,  n’ont pas la liberté  de se soustraire des  travaux d’orpaillage, les parents étant assoiffés du gain journalier.  La réalité est tout à fait contraire chez certains gamins non originaires des lieux. Eux, ils  peuvent librement rejoindre la maison quand ils souhaitent. Un responsable du département des affaires sociale  croit à l’existence d’une main d’œuvre enfantine travaillant contre son gré et éventuellement fruit d’un trafic.

Environnement  en danger

Faute d’encadrement, selon les spécialistes, l’orpaillage artisanal a favorisé une destruction méthodique de l’environnement. Les zones d’exploitation sont complètement déboisées. Les centaines de milliers de puits creusés par les orpailleurs sont abandonnés en l’état. Cela conduit à une destruction anarchique du sol et de la végétation, par des ravinements et un processus d’érosion intensif. Ce déséquilibre provoque un sur-alluvionnement des vallées et leur asphyxie plus ou moins profonde. Les effets convergents de ces différents processus, causent de graves perturbations dans le drainage naturel des cours d’eau. Ces dégâts sont quasiment irréversibles et peuvent devenir catastrophiques à l’échelle de plusieurs générations. Malgré ce spectre redoutable pour l’environnement et l’écologie, la fièvre de l’or monte. Pour en trouver plus, de nouvelles techniques naissent et l’emploi de produits chimiques plus puissants et hautement toxiques, est fréquent dans les exploitations. Ces méthodes sont employées de façon très discrète dans notre pays. Elles compromettent dangereusement la qualité des eaux et du sol guinéen.

Organisations non officielles  

Vu de l’exterieur, l’orpaillage ressemble  à une activité inorganisée, voire anarchique. Or, la pratique se conforme aux formes organisationnelles des structures villageoises, communautaires et familiales.  Elle repose sur un ensemble de prescriptions verbales coutumières acceptées de tous. Ainsi, l’accès aux sites est accordé à tous, à condition de se soumettre aux règles en vigueur. La violation de ces règles est soumise à des sanctions.

A Balato par exemple,  les rapports sexuels, les vols sur les sites et le travail sur les sites les lundis et vendredi sont prohibés.

source:ledjeli.com

Moussa Diawara
Journaliste reporter d'images, administrateur Gl à reporterguinee.net Aime le voyage, la lecture, la découverte et le sport